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Réalité virtuelle : 5 principes clés pour éviter la cinétose par Guillaume Jegou

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Les recherches autour de la réalité virtuelle mobilisent depuis plusieurs années les équipes du laboratoire Technologies Facteurs Humains qui travaillent notamment sur le phénomène de cinétose. Guillaume Jégou, Responsable du Laboratoire, nous en dit plus sur leurs travaux autour de cette problématique.

Peux-tu nous expliquer ce qu’est la cinétose ?

La cinétose est un trouble qui se manifeste dans une situation de discordance entre ce qui est interprété par le cerveau, notamment via la vue, et la perception de l’oreille interne. Elle peut être comparée au mal des transports. Ce conflit sensoriel se caractérise généralement par des symptômes d’inconfort, de fatigue oculaire, de désorientation et de nausées. Dans une expérience de réalité virtuelle, les perceptions de l’utilisateur sont stimulées artificiellement et, dans certains cas, ce problème de cinétose peut se manifester. Il est notamment corrélé aux caractéristiques des contenus et terminaux. Aujourd’hui, la réalité virtuelle devient de plus en plus accessible au grand public grâce à des terminaux à moindre coût et de nombreux contenus disponibles sur internet. Cette démocratisation de la réalité virtuelle est une bonne chose dans le sens où elle permet l’ouverture de nouveaux marchés mais à la condition qu’il n’y ait pas de dégradation de l’expérience. En effet, s’il y a peu de conséquences pour une mini-application de quelques secondes, on imagine mal former pendant plusieurs heures une personne qui ne serait pas dans une situation confortable. Au final, il est indispensable de proposer des solutions concrètes à ce problème de cinétose pour que les promesses de la réalité virtuelle puissent être tenues !

Quelles sont les pistes sur lesquelles tes équipes travaillent aujourd’hui pour solutionner ce problème ?

Une des approches que nous avons retenues est de détecter l’inconfort physiologique afin de pouvoir le prendre en compte en temps réel. Nous travaillons actuellement sur des algorithmes de détection automatique basés biocapteurs. Ces derniers permettent de capter différents signaux psychophysiologiques et, après traitements, de qualifier le confort d’usage et de détecter les effets de la cinétose avant qu’ils ne deviennent bloquants pour l’utilisateur. Cette étape de détection, réalisée grâce à du machine learning, est un point essentiel car c’est grâce à cela qu’il sera possible d’agir de façon préventive ou corrective. La même approche peut aussi être utilisée pour qualifier en temps réel l’état cognitif et émotionnel, comme le stress, la charge cognitive ou l’engagement.

Par ailleurs, pour limiter le phénomène de cinétose, plusieurs facteurs peuvent être pris en compte. D’une part, une performance matérielle permet d’éviter le phénomène de latence qui peut être une cause importante d’inconfort, voire de malaise. D’autre part, il est essentiel de travailler sur des contenus adaptés, dans une démarche qui associe le design et les connaissances sur la perception humaine. De ce point de vue, certaines « astuces » sont intéressantes à tester, comme par exemple l’ajout de repères visuels stables dans le contenu tout comme une utilisation pertinente de la vision périphérique lors de certains mouvements. De la même manière, la représentation qu’on a de son propre corps peut agir comme un de ces repères. Si on permet à l’utilisateur de voir ses mains par exemple, il est possible de limiter le côté troublant de la perception de soi qui serait purement fantomatique. Nous croyons également beaucoup à l’expérience multi-utilisateurs. En plus de rendre l’expérience collaborative et engageante, elle donne un repère visuel supplémentaire à l’utilisateur. La collaboration permet également d’être protagoniste par son interaction, et non plus un simple spectateur de l’expérience. Pour limiter l’inconfort physiologique, il est enfin essentiel de porter attention à la cohérence entre le mouvement réalisé par le corps et sa transcription en réalité virtuelle. C’est pour cela que nous privilégions pour l’instant le travail à l’échelle un pour un. Cela signifie que lorsque l’utilisateur avance d’un mètre dans le contenu, il avance d’un mètre dans la réalité, avec 6 degrés de liberté (6DOF).

De manière plus générale, quelles sont les caractéristiques que devrait offrir toute expérience de réalité virtuelle ?

La principale caractéristique d’une expérience de réalité virtuelle réussie est la Présence, c’est-à-dire le sentiment authentique de se retrouver dans un lieu autre que celui dans lequel on se trouve physiquement. L’auteur de fiction Arthur C. Clarke a dit : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ». Cela peut résumer l’expérience de réalité virtuelle idéale : être transporté comme par magie dans un autre monde, en oubliant tout l’environnement technologique nécessaire pour y parvenir. Pour cela, l’acceptabilité est une problématique qu’il faut traiter à plusieurs niveaux.

L’acceptabilité cognitive va être propre à chaque utilisateur mais sera fortement liée à la crédibilité de l’expérience virtuelle. Il y a des principes généraux d’action-réaction qui doivent être cohérents pour l’utilisateur. Il est intéressant de proposer des interactions naturelles entre l’utilisateur et le contenu pour le plonger immédiatement dans une immersion « profonde ». Dans le domaine des sciences cognitives, nous travaillons également à concevoir des contenus plus intelligents, en nous basant sur des architectures d’intelligence artificielle comportementales. Pour renforcer la crédibilité, tout ne doit pas être scripté, certains comportements d’entités virtuelles gagnent à être émergents, c’est-à-dire qu’ils découlent de certaines propriétés générales mais qu’ils ne sont pas prévisibles. Par exemple, un banc de poissons ou un mammifère marin va modifier son comportement d’une façon dynamique, sans script pré-établi, en fonction des interactions avec l’utilisateur (compromis entre peur et curiosité). On peut ainsi revivre une même scène plusieurs fois, avec une expérience renouvelée. Enfin, l’acceptabilité sociale est déterminante. En effet, les représentations sociales au sujet d’une technologie, et notamment d’une technologie disruptive comme la réalité virtuelle, peuvent être de puissants facteurs d’attractivité ou de rejets. Il y a beaucoup de questionnements sous-jacents au sujet de la dépendance, l’addiction, les risques psycho-pathologiques, mais aussi beaucoup d’attentes sur les possibilités de l’immersion profonde en termes d’accès à la culture, la formation, les loisirs, les réseaux sociaux, la simulation de mondes nouveaux, le domaine médical… Entre fantasmes et réalités, on peut étudier ces représentations pour mieux concevoir technologies, produits et services et agir de manière responsable.

Sur quels projets de réalité virtuelle travaillez-vous actuellement chez b<>com ?

Nous présentons en avant-première au NAB Show fin avril un extrait de contenu réalisé en partenariat avec Océanopolis, le parc de découverte des océans situé à Brest en France. Il s’agit d’un projet ludo-éducatif, qui permettra aux visiteurs d'explorer les fonds marins grâce à la réalité virtuelle. L’expérience offrira aux spectateurs la possibilité d’interagir en immersion avec d’autres utilisateurs et de disposer d’une liberté de mouvements totale. Il sera également possible d’interagir naturellement avec un environnement intelligent peuplé de mammifères marins et de poissons animés par de l’intelligence artificielle, et de bénéficier d’une représentation améliorée de soi et des autres. Une phase de test sera également menée auprès des visiteurs d’Océanopolis cet été et permettra à nos équipes de se nourrir des retours utilisateurs pour améliorer l’expérience et valider les choix technologiques. Toutes ces questions sont traitées de manière très pluridisciplinaire chez b<>com et mobilisent beaucoup de métiers différents : designer, experts en sciences cognitives et intelligence artificielle, ingénieur R&D, scientifiques de la mer…