Julien, peux-tu nous présenter Imprudence ?
Imprudence est un collectif pluridisciplinaire qui cherche à renouveler les imaginaires technologiques. Le studio s’est d’abord construit sur la volonté de montrer d’autres possibles créatifs avec les technologies. L’IA n’est pas qu’une technologie d’optimisation. La VR n’est pas qu’une technologie de reproduction du réel ou de gaming. Alors que nous poussions de plus en plus loin les frontières de ces technologies, à la manière des concept cars, nous avons découvert une discipline qui nous a fasciné : le design fiction. Inspirés par les méthodes du MIT et du « world building » d’Hollywood, nous avons développé notre propre approche du design fiction. La pluridisciplinarité étant clé pour explorer l’ensemble des dimensions des mondes de demain, nous nous appuyons sur plusieurs compétences : designers, creative technologists, chercheurs et storytellers. Ce qui fait la spécificité de notre approche, c’est la manière dont on matérialise ces futurs. En effet, comment comprendre ces futurs sans les vivre ? Venant du jeu vidéo, de l’audiovisuel, du digital, nous nous attachons tout particulièrement à créer de l’immersion. Notre but est de montrer que l’avenir n’est pas une prophétie auto-réalisatrice mais qu’il est possible d’inventer le futur que l’on souhaite. Cela étant, nous veillons à ne pas tomber dans la science-fiction en intégrant à nos futurs des critères de faisabilité et de plausibilité. Nous travaillons aujourd’hui pour des clients tels que Total, l’Oréal, LVMH, Danone… Nos clients sont des entreprises ayant déjà une culture forte de l’innovation, voire leurs propres laboratoires internes. Notre rôle est de leur montrer d’autres chemins d’innovation, en dehors des sentiers battus et des cadres normatifs de leur industrie.
Comment s’est noué le partenariat avec b<>com ?
b<>com avait initié depuis quelques années une démarche et des actions autour de la prospective, et a découvert notre travail. Dès la première rencontre, nous nous sommes rendus compte que nous avions de belles choses à faire ensemble ! La collaboration s’est concrétisée autour du projet prospectif « Echos » qui explore le numérique responsable à horizon 2040. Parmi tous les axes de recherche envisagés, notre rôle était de réaliser un exercice de design fiction pour imaginer le numérique responsable dans 20 ans.
Pour imaginer ces futurs possibles, nous sommes passés par plusieurs étapes. La première étape est de déterminer le décor de nos futurs, en s’intéressant à l’évolution de la démographie, de l’éducation, de la politique etc. Vient ensuite la technologie : quelles seront les technologies qui définiront nos futurs, celles avec lesquelles on devra composer, celles qui portent de nouvelles solutions, celles qui n’en seront qu’à leurs balbutiements. Pour finir de planter notre décor, nous nous intéressons évidemment aux usages, à la sociologie et l’anthropologie. Maintenant que nous avons défini un cadre de plausibilité, désirabilité et faisabilité, il s’agit d’explorer les signaux faibles, les disruptions possibles tout le long de la chaine de valeur du numérique, les innovations que portent les labs, les centres de design interdisciplinaire, les démarches spéculatives… C’est seulement une fois ces éléments posés, qu’il est possible de s’attaquer à la partie « world building » de laquelle vont émerger les scénarios prospectifs. Pour b<>com, nous en avons retenu quatre.
Peux-tu nous présenter ces 4 scénarios ?
Dans le premier scénario que nous avons intitulé Vivre dans des archipels numériques, les sociétés se réorganisent en une multitude d’archipels numériques proposant chacun ses solutions aux défis du siècle. Les points clés sont ici la réappropriation des technologies numériques (on possède nos propres serveurs, on imprime nos capteurs et wearables…) pour créer des communautés indépendantes, où gestion des ressources, partage pair-à-pair de compétences et intergénérationalité créent les conditions d’un nouveau vivre-ensemble.
Dans le second scénario appelé Dompter le Numérique, Sauver le Monde, l’Europe, se perçoit comme la puissance technologique responsable du siècle en fondant l’Europe du numérique et de l’environnement. Les révolutions principales sont la taxe carbone individuelle et l’eco-coin. D’un point de vue macroscopique, le numérique est vu comme un bien commun et inclusif et on mise sur la responsabilisation individuelle et la tokenisation des échanges.
Nous avons intitulé le troisième scénario « Réinventer la Fabrique du Futur ». Ici, de par la pression sociale et les opportunités business, les champions privés du numérique transforment leurs outils et technologies en moteurs de changements environnementaux. Ce qui était pollution devient solution à impact positif. Les data centers deviennent des usines hydroélectriques, les déchets électroniques une manne pour des technologies propres comme les voitures électriques et les soft wearables aident à diminuer notre impact individuel.
Enfin, dans le dernier scénario « Réussir la révolution biologique du numérique », on imagine un monde où les ressources naturelles liées au numérique ont quasiment disparus. Le numérique doit muter et la pression anthropocène met le vivant au cœur de nos sociétés. Le numérique suit alors ce nouveau chemin, entre bactéries créatrices de minerai, stockage ADN et plantes interfaces.
Retrouvez la présentation exclusive de ces 4 scénarios à travers le replay de l’intervention de Julien Tauvel à la Digital Tech Conference.
A titre personnel, comment imagines-tu le numérique responsable en 2040 ?
L’ensemble des scénarios proposés représentent chacun à leur manière une facette du numérique responsable demain. Il est impensable que les GAFAMs n’entrent pas dans la course de la cleantech et de l’impact positif. Il est logique que l’Europe cherche à s’affirmer internationalement autour de nouvelles valeurs de développement, la question est jusqu’où ? L’archipelisation de nos sociétés existent déjà, tout comme les modèles plus radicaux d’autosuffisance. Aussi, je pense que nous allons assister à une coexistence d’éléments des trois premiers scénarios. A titre plus personnel, j’adorerais que le quatrième scénario advienne, et que la révolution du vivant soit notre horizon. C’est peut-être aujourd’hui de la science-fiction, mais je pousserai pour le faire advenir ;)
En quoi le partenariat avec b<>com diffère-t-il de ce que vous avez l’habitude de faire ?
La plus grande différence par rapport aux autres partenariats est l’horizon de temps. En design fiction, nous sommes habituellement sur une dizaine d’années. A travers le projet « Echos », nous nous projetons en 2040 et le fait de pousser un cran plus loin permet plus de créativité par rapport aux exercices traditionnels. Dans la collaboration, il est par ailleurs extrêmement intéressant de pouvoir échanger avec des spécialistes et de recueillir des points de vue sociologiques, juridiques ou anthropologiques sur les différents scénarios mais aussi d’avoir le point de vue de chercheurs spécialisés sur une technologie particulière, sur comment ils perçoivent l’avenir de cette technologie.