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Une reconnaissance faciale responsable, vertueuse et digne de confiance est possible par Amine Kacete

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La révolution de l’Intelligence artificielle contribue actuellement à la progression de plusieurs domaines technologiques à l’instar de la reconnaissance faciale. Au-delà des performances techniques fulgurantes qu’elle atteint, la reconnaissance faciale soulève des débats passionnés autour de ses impacts techniques, éthiques et sociaux induits par un certain nombre d’usages, explique Amine Kacete, ingénieur de recherche en Intelligence Artificielle, b<>com.

La reconnaissance faciale, une notion qui mérite d’être éclaircie

La majorité de ces débats porte un biais important relatif à la définition de la reconnaissance faciale. En effet, ils la réduisent principalement aux logiciels de vérification d’identité bien que son spectre d’intervention soit plus large. D’un point de vue purement scientifique, une définition plus juste englobe tous les algorithmes intelligents permettant l’analyse automatique du visage à partir d’images ou de vidéos. Elle permet par exemple de localiser les visages, prédire des macro/micros expressions ainsi que l’état émotionnel, reconstruire les informations géométriques 3D du visage, inférer automatiquement des attributs du visage comme la couleur des cheveux, la couleur des yeux ou encore l’âge de la personne. En adoptant une définition plus large de la reconnaissance faciale, on envisage son impact technologique et sociétal de manière moins biaisée.

Les impacts d’une technologie multi-facettes

Comme toute technologie émergente, la reconnaissance faciale offre un double visage : une face sombre et une face plus lumineuse.
Du côté sombre, une interprétation triviale et intuitive du contexte général dans lequel cette technologie évolue.

En effet, le constat est le suivant : les systèmes de surveillance CCTV (Closed-Circuit Television) sont en pleine expansion (environ 800 millions dans le monde et environ 400 000 en France), historiquement réservés aux sites les plus sensibles, ils se sont démocratisés et font maintenant partie du paysage urbain. Les actes malveillants présentent une  bonne corrélation avec les mouvements de foule les rendant très complexes à prédire et à éviter. Les gouvernements ont de plus en plus recours à cette technologie pour pallier ces failles de sécurité nourrissant le risque d’un scénario à la big brother : une surveillance permanente, à grande échelle, avec un contrôle et un profilage approfondi qui menaceraient les libertés individuelles.

Du côté plus lumineux, la reconnaissance faciale n’a jamais été aussi précise, rapide et ergonomique. Elle permet de lever des verrous technologiques majeurs améliorant grandement la qualité de vie humaine. En intégrant tout son potentiel d’identification précise des attributs du visage, les soins médicaux peuvent, par exemple, être de plus en plus spécifiques et adaptés. Grâce à une identification ultra précise, des personnes disparues peuvent, par exemple, être retrouvées en un temps-record, et récemment, dans certains pays, cette capacité d’identification via la reconnaissance faciale s’est révélée déterminante pour gérer des situations de confinement de population et réduire la propagation de maladies virales. Les personnes âgées peuvent aussi être assistées automatiquement grâce à une identification de leurs expressions et de leur état émotionnel. En outre, avec la démocratisation du deepFake, l’identité numérique personnelle est grandement menacée : la reconnaissance faciale constitue une métaphore robuste de protection de contenu en identifiant les contenus fake.

Une opportunité pour l’Europe

L’histoire nous apprend que bannir complètement une technologie pour éviter ses dérives, au mépris de tous ses avantages, n’a jamais été une solution judicieuse. En outre, dans le cadre de la reconnaissance faciale, les outils et algorithmes permettant de la rendre performante sont accessibles par tout le monde en open-source.

Aujourd’hui, supprimer intégralement cette technologie est quasiment impossible. Une approche par une régulation s’impose donc comme un choix plus pertinent. Sans régulation, ou si l’on se contente d’une régulation partielle, la part sombre va potentiellement éclipser tous les bénéfices de la reconnaissance faciale. Certains modèles asiatiques illustrent les dérives potentielles avec un déploiement massif de la reconnaissance faciale, tant sur le nombre de personnes identifiées que sur le nombre de lieux publics ciblés. De plus, ces déploiements sont souvent accompagnés d’interprétations automatiques résultant de la reconnaissance faciale. On peut légitimement se poser la question de l’impact de ces décisions automatisées sur la vie quotidienne des citoyens chinois. La régulation partielle du modèle nord-américain pose d’autres questions. L’accès et la collecte de données permettant de nourrir et de perfectionner la reconnaissance faciale n’a pas aujourd’hui de contrôle strict. Où sont stockées ces données ? A quelles fins peuvent-elles / doivent-elles être utilisées ? En injectant des contraintes d’éthique, juridique et de responsabilité collective, l’Europe a déjà fait preuve d’initiatives sérieuses de régulation comme le RGPD.

Le livre blanc sur l’IA qu’elle vient de publier, déjà rallié par des acteurs majeurs tel Microsoft, confirment la possibilité d’une "troisième voie" européenne. Un nouveau paradigme autour d’une reconnaissance faciale vertueuse, responsable et digne de confiance est possible. D’une part, les performances impressionnantes, toujours en progression, de l’intelligence artificielle vont encore accélérer la résolution des problématiques "vertueuses" et ouvrent la voie pour d’autres bénéfices de cette technologie. D’autre part, concevoir rapidement des processus régulateurs solides agissant à la fois sur l’entrainement des algorithmes, le déploiement et les décisions prises par la technologie renforcera l’acceptation et la confiance de la société. Quelques initiatives concrètes illustrent cette voie. En Allemagne par exemple, certaines zones jugées sensibles affichent visuellement un système reconnaissance faciale automatique en cours, comme cela se fait avec une signalétique indiquant la surveillance CCTV.

Des perspectives encore insoupçonnées

Avec la révolution Intelligence artificielle, plusieurs technologies numériques émergent et tentent d’intégrer dans leurs cœurs algorithmiques un raisonnement purement IA.

Le meilleur exemple sont les contenus vidéos utilisant la 3D Computer Graphic Imagery : cette technique permet une animation/réanimation de vedettes de cinéma à partir de leurs photographies avec un réalisme extrêmement poussé. On peut imaginer que des acteurs vont réaliser des scènes de films uniquement à partir de leurs données numériques 3D sans aucune intervention physique de leur part. Ouvrant ainsi de nouveaux modèles d’affaires de l’industrie du cinéma en dehors des schémas juridiques et éthiques connus.

Finalement, résoudre la problématique et répondre aux enjeux soulevés par la reconnaissance faciale, c’est potentiellement développer un modèle de protection de données capable de servir comme standard pour toutes autres technologies présentant des verrous similaires. En résumé, soutenue par une régulation et des efforts de standardisation substantiels, la reconnaissance faciale représente un espoir pour toute technologie basée sur les données numériques.